l'histoire africaine à l'épreuve de l'esprit colonial
"Je suis venu vous proposer de regarder ensemble, Africains et Français, au-delà de cette déchirure et au-delà de cette souffrance. Je suis venu vous proposer, jeunes d'Afrique, non d'oublier cette déchirure et cette souffrance qui ne peuvent pas être oubliées, mais de les dépasser."
On entend très régulièrement, concernant la colonisation notamment, des discours selon lesquels il est temps d'arrêter de ressasser le passé et qu'il est temps d'aller de l'avant. Je suis intimement persuadé du contraire, et le fameux discours de Dakar (dont j'ai déjà parlé ici plusieurs fois et que jamais je crois, je n'arriverai à digérer) prouve justement le contraire : aucune leçon n'a été tirée, aucune remise en question n'a été faite et donc aucun changement de fond n'a globalement été effectué.
A ce titre, ce discours était particulièrement saisissant parce que, tout en prônant le "dépassement" de cette époque, Nicolas Sarkozy en a adopté, tout au long de son propos, le ton paternaliste. Ce n'était pas alors Henri Guaino la plume du président, c'était Hergé.
Un autre aspect du discours, très représentatif de cet esprit colonial, est le déni d'histoire. C'est sur ce point qu'il fut particulièrement contesté, notamment son fameux passage : "le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles", et que "dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès".
Ce n'est pas un hasard si cet extrait déclencha tant de foudres en Afrique de l'Ouest, et fut à l'origine de plusieurs ouvrages sur l'histoire africaine (comme celui au titre très explicite de l'ancienne première dame, Adame Ba Konaré) : nous en parlions en évoquant la revendication identitaire du mouvement n'ko (voir post du 11/02/09), le refus de reconnaître l'histoire est un des moyens fondamentaux nécessaires à l'établissement d'une domination culturelle. Or toutes les autres formes de domination en découlent et déclencheront d'ailleurs d'autant moins de résistance que la domination culturelle est forte.
Ce déni prend plusieurs formes : une première consiste en un refus pur et simple de considérer comme authentique cette histoire. C'est brutal, mais récurrent. La culture occidentale est basée sur l'écrit. Dès lors, n'est donc considéré comme irréfutable que ce qui est écrit noir sur blanc. Or, en Afrique occidentale, bien des pans de l'histoire sont transmis oralement, par les griots notamment...
Une autre forme de ce déni est la place qui revient à l'histoire africaine dans les programmes scolaires français (à lire, le court compte rendu de conférence sur la façon dont a été traitée l'Afrique en histoire-géographie au XXe siècle). Cette absence est d'autant plus grave qu'elle n'est évidement pas le fruit d'un malheureux hasard, et qu'elle plonge toute une population dans une ignorance lourde de conséquences qui fait bien sûr les intérêts de ceux qui l'entretiennent.
Il m'aura ainsi fallu arriver au Mali pour découvrir toute la richesse de l'histoire africaine. De ce qu'on m'en avait appris, elle commençait à la colonisation. Avant cela, le néant. Enfin pas exactement, et c'est peut-être encore pire : on parlait bien sûr de l'origine de la lignée humaine. L'esprit des enfants comblant généralement les vides par leur imagination, c'est laisser penser que jusqu'à la colonisation, l'Afrique ne devait être peuplée que d'homo erectus...
En arrivant ici donc, j'ai découvert une histoire on ne peut plus riche, faite d'empires et de royaumes particulièrement puissants. Une histoire ponctuée de héros, de découvreurs, de conquérants, d'entrepreneurs, de révolutionnaires...
Il y a Soundjata Keita , fondateur de l'empire du Mali et sa charte de Kurukan Fuga, qui en 1236 établit une charte universelle des droits de l'homme... Il y a l'empereur Aboubacar II, qui au tout début du XIVe siècle envoya des centaines de navires traverser l'Atlantique, persuadé qu'il devait y avoir d'autres terres. Certains, d'ailleurs, pensent qu'il aurait atteint l'Amérique du Sud... Il y a encore Kankou Moussa qui partit en pèlerinage à La Mecque, distribuant tant d'or qu'il en fit chuter le cours en Égypte pendant une décennie, revenant avec architectes, intellectuels, poètes et posa les bases de l'architecture soudanaise (voir post du 21/12/07). Et ces personnages historiques ne concernent que la période de l'Empire du Mali ! Mieux vaut donc s'en tenir là avant que ça ne ressemble à une liste : elle serait évidement sans fin. Elle le serait pour le Mandé, et donc bien plus encore pour le Mali tout entier, infiniment plus longue encore pour toute l'Afrique occidentale, interminable, évidement, pour l'ensemble des sociétés africaines !
Bon, ce devait être une introduction à un post consacré à Hamdallaye et le royaume peul du Macina...
... ce sera pour la prochaine fois, je crois bien !