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Le dit du Magot - Blog d'un français au Mali
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9 décembre 2009

l'histoire africaine à l'épreuve de l'esprit colonial

9782707158710FS"Je suis venu vous proposer de regarder ensemble, Africains et Français, au-delà de cette déchirure et au-delà de cette souffrance. Je suis venu vous proposer, jeunes d'Afrique, non d'oublier cette déchirure et cette souffrance qui ne peuvent pas être oubliées, mais de les dépasser."

On entend très régulièrement, concernant la colonisation notamment, des discours selon lesquels il est temps d'arrêter de ressasser le passé et qu'il est temps d'aller de l'avant. Je suis intimement persuadé du contraire, et le fameux discours de Dakar (dont j'ai déjà parlé ici plusieurs fois et que jamais je crois, je n'arriverai à digérer) prouve justement le contraire : aucune leçon n'a été tirée, aucune remise en question n'a été faite et donc aucun changement de fond n'a globalement été effectué.

A ce titre, ce discours était particulièrement saisissant parce que, tout en prônant le "dépassement" de cette époque, Nicolas Sarkozy en a adopté, tout au long de son propos, le ton paternaliste. Ce n'était pas alors Henri Guaino la plume du président, c'était Hergé.

Un autre aspect du discours, très représentatif de cet esprit colonial, est le déni d'histoire. C'est sur ce point qu'il fut particulièrement contesté, notamment son fameux passage : "le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles", et que "dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès".

Ce n'est pas un hasard si cet extrait déclencha tant de foudres en Afrique de l'Ouest, et fut à l'origine de plusieurs ouvrages sur l'histoire africaine (comme celui au titre très explicite de l'ancienne première dame, Adame Ba Konaré) : nous en parlions en évoquant la revendication identitaire du mouvement n'ko (voir post du 11/02/09), le refus de reconnaître l'histoire est un des moyens fondamentaux nécessaires à l'établissement d'une domination culturelle. Or toutes les autres formes de domination en découlent et déclencheront d'ailleurs d'autant moins de résistance que la domination culturelle est forte.

Ce déni prend plusieurs formes : une première consiste en un refus pur et simple de considérer comme authentique cette histoire. C'est brutal, mais récurrent. La culture occidentale est basée sur l'écrit. Dès lors, n'est donc considéré comme irréfutable que ce qui est écrit noir sur blanc. Or, en Afrique occidentale, bien des pans de l'histoire sont transmis oralement, par les griots notamment...

Une autre forme de ce déni est la place qui revient à l'histoire africaine dans les programmes scolaires français (à lire, le court compte rendu de conférence sur la façon dont a été traitée l'Afrique en histoire-géographie au XXe siècle). Cette absence est d'autant plus grave qu'elle n'est évidement pas le fruit d'un malheureux hasard, et qu'elle plonge toute une population dans une ignorance lourde de conséquences qui fait bien sûr les intérêts de ceux qui l'entretiennent.
Il m'aura ainsi fallu arriver au Mali pour découvrir toute la richesse de l'histoire africaine. De ce qu'on m'en avait appris, elle commençait à la colonisation. Avant cela, le néant. Enfin pas exactement, et c'est peut-être encore pire : on parlait bien sûr de l'origine de la lignée humaine. L'esprit des enfants comblant généralement les vides par leur imagination, c'est laisser penser que jusqu'à la colonisation, l'Afrique ne devait être peuplée que d'homo erectus...

En arrivant ici donc, j'ai découvert une histoire on ne peut plus riche, faite d'empires et de royaumes particulièrement puissants. Une histoire ponctuée de héros, de découvreurs, de conquérants, d'entrepreneurs, de révolutionnaires...
Il y a Soundjata Keita , fondateur de l'empire du Mali et sa charte de Kurukan Fuga, qui en 1236 établit une charte universelle des droits de l'homme... Il y a l'empereur Aboubacar II, qui au tout début du XIVe siècle envoya des centaines de navires traverser l'Atlantique, persuadé qu'il devait y avoir d'autres terres. Certains, d'ailleurs, pensent qu'il aurait atteint l'Amérique du Sud... Il y a encore Kankou Moussa  qui partit en pèlerinage à La Mecque, distribuant tant d'or qu'il en fit chuter le cours en Égypte pendant une décennie, revenant avec architectes, intellectuels, poètes et posa les bases de l'architecture soudanaise (voir post du 21/12/07). Et ces personnages historiques ne concernent que la période de l'Empire du Mali ! Mieux vaut donc s'en tenir là avant que ça ne ressemble à une liste : elle serait évidement sans fin. Elle le serait pour le Mandé, et donc bien plus encore pour le Mali tout entier, infiniment plus longue encore pour toute l'Afrique occidentale, interminable, évidement, pour l'ensemble des sociétés africaines !

Bon, ce devait être une introduction à un post consacré à Hamdallaye et le royaume peul du Macina...
... ce sera pour la prochaine fois, je crois bien !

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Commentaires
T
Il y a là un énorme débat que je n'ai pas encore abordé moi même. Je suis globalement d'accord avec tout ce que tu avances et avec le dernier com, il faut plus qu'un commentaire pour remettre tout ça en place. Le problème c'est que beaucoup de personnes ne veulent pas en parler ou biaisent le débat parce que ça les dérange, ça les oblige à réfléchir un peu et à ce remettre en question. Je parle de français mais aussi de maliens. J'ai d'ailleurs une collègue malienne que je surnomme Madame Sarkozy tellement son discour est proche de celui de NS.<br /> Enfin ce grand débat sur l'identité nationale, en France on parle bien de ce que l'on n'a pas. Une des choses qui m'a le plus marqué en arrivant au Mali c'est le fait que les maliens avaient un très grand sens de leur identité, dès la naissance. On nait Coulibaly, Traoré ou Diallo et on sait ce que ça veut dire. On en est fier mais ce n'est pas un prétexte au rejet ou à la haine du voisin. C'est même prétexte à plaisanterie.<br /> Alors que chez nous en France, et bien non, plutôt que de faire une force de cette "multi-identité", d'en faire une richesse, on en fait un alibi pour repousser l'autre, pour le différencier.<br /> Bon, je m'égare, on est le 31 décembre, amusez vous bien ....
P
Alex, ce genre de réponse mériterait d'être édité en "post" et pas seulement en une "réponse de commentaire" que peu de gens auront le loisir de lire....
A
Bonjour !<br /> Non, je n’ai pas assisté au spectacle. En fait j'ai été refoulé à l’entrée… faute d'avoir acheté des places en avance. argh.<br /> <br /> Bon, à dire vraie je ne voulais pas faire un post sur Sarkozy, ni sur la période post-coloniale… mais sur la vision de l’histoire africaine par les français, et montrer qu’il s’agissait finalement d’un regard qui était encore typique de la période coloniale, se basant notamment sur un déni de cette histoire. J’ai utilisé les propos de Sarkozy parce qu’ils me semblaient tout à fait représentatif. <br /> A ce titre, je regrette donc un peu qu’encore une fois, l’on ne parle encore que de l’histoire post-coloniale, qui ne correspond qu’au 50 dernières années… Une période qui ne commence qu’à peine à être abordé par les historiens en France.<br /> <br /> Cela dit, concernant la période post coloniale donc, je suis tout à fait d’accord avec le fait que les africains l’aient en bonne partie subie. Non pas qu’ils étaient « bercé par l’éternel recommencement des mêmes choses » comme dit N. Sarkozy, mais tout simplement qu’on leur a fait subir de force ! <br /> Si le traitement de l’histoire africaine est typique de la période coloniale, les relations économiques et politiques le sont tout autant : imaginerait-on une seule seconde la France se voir imposer des changement économiques et sociaux par un pays africains ? Se les faire imposer par l’Union Européenne dans laquelle pourtant la France fait plus que partie n’est déjà pas franchement accepté. Dès lors, comment imaginer qu’un pays se développe selon ses propres choix, sa logique, son expérience, quant elle est en permanence considérée comme un irresponsable ayant besoin qu’on lui impose un tuteur. Comment imaginer que cela se passe bien quand, en plus, ce tuteur est issu d’une autre histoire, d’une autre culture, et n’appréhende évidemment pas les évènements de la même manière et ne désire pas les mêmes choses… C’est ce qui se passe ici en permanence, ce qui n’a pas arrêté de se passer des 50 dernières années… et qui s’est réduit en bonne partie à une sape de toute l’économie et de la société malienne : si les conséquences des modifications ultralibérales imposées par les institutions internationales (FMI et Banque Mondiale notamment) sont au final dramatiques, les conséquences dans l’imaginaire collectif des africains est absolument catastrophiques. C’est ce qu’Aminata Traore résume par les termes de « viol de l’imaginaire ». Ils me semblent parfait pour exprimer la violence de tout ça dans la construction de l’identité malienne.<br /> Si je ne comprend pas le débat sur l’identité nationale en France, je crois que celui d’ici est un passage obligé pour se libérer du parasitisme occidental et se réapproprier son destin, son histoire effectivement trop subie ces dernières années.<br /> <br /> Enfin, si beaucoup d’africains rêvent de partir en France : l’an passé, mon meilleur ami ici m’a parlé d’un tel projet (à la suite de son 1er enfant, dans un moment de flou total sur son avenir… il en est depuis revenu). Ce jour-là j’ai compris à quel point on ne pouvait pas imaginer les blessures qu’un tel projet peut laisser apparaître. Ce jour-là j’ai, plus que jamais, compris Aminata Traoré, et vu les plaies que laissent ce viol de l’imaginaire.
O
Le plus extraordinaire avec ce personnage c'est qu'il arrive en permanence à relancer la polémique sur des thématiques dont il a pourtant déjà tout dit depuis longtemps. A chaque fois en exploitant tel ou tel évènement, mais toujours avec les mêmes fondamentaux, ceux qui lui ont permis en 2007 de siphonner l'électorat du FN. <br /> <br /> Sur ce thème des 'Valeurs', je recommande vivement de voir, surtout d'écouter, une excellente anthologie des mots et des idées qui construisent sa prise du pouvoir et ses deux premières années à l'Elysée: http://www.youtube.com/watch?v=Fm-TdlB8QNI<br /> <br /> Quatre autres vidéos de la même série sont aussi sur YouTube, mots clés: Sarkozy Midterm<br /> <br /> Pour la version 'intégrale' de la série (la compression de l'image est de moindre qualité que sur YouTube mais, ici, les 5 volets sont réunis en une seule video, dans leur ordre chronologique), c'est sur MySpace : http://tinyurl.com/yguhsyv <br /> <br /> Un petit bijou pédagogique, si l'on a 30 minutes devant soi et deux cachets d'aspirine de secours !
B
Bonjour,<br /> <br /> Comme vous, le discours de Dakar m'interpelle. Mais personnellement, je ne vois pas ce qu'il y a de choquant dedans. C'est extrêmement condescendant sur la forme, mais sur le fond, c'est réaliste.<br /> <br /> Vous étiez peut-être au spectacle de Mahamane au Blomba il y a quelques jours. Je l'ai trouvé révélateur.<br /> <br /> Une de ses répliques: "L'homme africain n'est pas assez rentré dans l'Histoire. Et bien oui, c'est l'Histoire qui nous est rentrée dedans! Aïe aïe aïe." Toute la salle était hilare. J'ai l'impression qu'il y a une partie importante des africains qui voient eux-même l'Histoire comme subie pour l'Afrique. En ce sens, la phrase "l'homme africain n'est pas rentré dans l'Histoire" n'est pas si choquante.<br /> <br /> Je suis d'accord avec vous qu'on peut interpréter cette phrase comme l'idée que l'Afrique n'a pas d'Histoire, ce qui absolument faux comme vous le montrez, ou que l'Afrique n'a pas eu d'influence sur l'Histoire, ce qui est aussi extrêmement faux. Le passage sur le paysan africain est extrêmement réducteur. Mais l'idée que l'homme africain n'a pas influencé l'Histoire, qu'il n'a pas pris en main son destin, n'est pas à rejeter (la méthode qui consiste à l'annoncer avec un ton condescendant, probablement!). Mahamane expliquait que depuis la décolonisation, l'Afrique avait essentiellement subi son destin à nouveau (sous d'autres influences: politiques corrompus, bailleurs internationaux, multinationales, etc...).<br /> <br /> Mais surtout, la majorité de son spectacle était consacré au durcissement des conditions d'immigration en France et au fait que tous les africains veulent émigrer en France et aiment la France (reliant cela au thème du débat sur l'identité nationale): thème qui a reçu un fort succès dans la salle. Encore une fois c'est révélateur: en quoi l'homme africain (et non les individus) participe-t-il de l'idée de progrès en suivant cette voie-là?<br /> <br /> Bobby
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